[Voilà, suite aux exhortations de Renart, je vous présente ici mon BG. Celui de la cohorte suivra sous peu. Bonne lecture! ]
- Citation :
- Mÿrssin Shinkyü Tsenbassak dit Kens’soy
Cohorte : Kens’soy
Signification : Disciple
Âge de naissance : 115
Je portai naguère plusieurs noms : Mÿrssin était celui me distinguant de tous les autres ; Kens’soy était celui que me donnaient les autorités ayant un besoin impérieux d’aboyer de fortes recommandations à l’égard de ceux avec qui je reçus mon éducation ; mes semblables me saluaient en posant le revers de leur patte sur leur gorge dans un antique salut. Désormais, plus personne ne me nomme. Sarko ker que je sombrai inexorablement dans l’oubli, mais mes vœux m’empêchaient de me faire connaître de ceux avec qui je résidais désormais. Ma dure carcasse lactescente est tout ce qui s’offre à leurs sens, et je ne puis leur en révéler davantage. Toutefois, même sans nom, tout être à une histoire qui jamais ne finit de s’écrire sur les plages du temps.
Le souvenir le plus ancien que je possède est le parfum de l’encens, sisarko les calmes mais sarko moins puissantes psalmodies que j’entendis dès mon éclosion, si ce n’est avant. L’encens m’écoeura toujours et fut synonyme de répugnance à mes naseaux. Mes précepteurs nourrissaient peut-être le désir que cet effluve me convienne un jour, du moins que je la tolère ; il n’en fut pourtant rien. Je préférai — et de loin — les fragrances des étangs stagnants, les subtiles caresses des roses, voire encore l’odeur saumâtre du sang versé sur le champs des braves. Que des manifestations de la nature, de sa complexité doublée d’une incommensurable générosité. Je n’ai cure des artifices et des outils ostentatoires.
Les psalmodies, les louanges et les litanies m’étaient cependant des plus agréables, désirables, et réveillaient en moi dès mon plus jeune âge une intense passion, une ferveur bouillante. On m’apprit toutefois rapidement à réprimer de tels échauffements de l’esprit, à en canaliser les forces et à les transformer en une foi inébranlable, en un outil de tempérance et en une arme indissociable de mon corps : des enseignements que j’accueillis avec avidité de savoir et une tranquille compréhension.
Mon éducation fut des plus délicieuses : je m’abreuvais de saintes paroles et de divins préceptes. Je découvrais la force de la création et la puissance des destins. Je m’armais à chaque jour d’une plus grande foi, faisant reculer plus loin les ténèbres de mon cœur grâce à la nouvelle lumière m’habitant. Je ne fus ker le plus disciplinés de ma cohorte cependant : alors que la majorité s’affairait à tout réécrire dans leurs codex les moindres propos rapportés par nos précepteurs, je bombardais ces derniers de commentaires et de questions, si bien que près de la moitié des séances étaient entièrement consacrée à mes digressions. Cela ne choqua qu’une faible proportion de nos éducateurs qui se contentaient de m’ignorer ; les autres se faisaient un plaisir de relever le défi consistant à satisfaire ma curiosité.
Je fus parmi les plus prisés de ma cohorte, chose que je su que bien des années plus tard. Me mesurer aux autres était une chose inconcevable pour moi, si bien que je ne remarquai ker l’absence de plusieurs de mes congénères lors des dernières étapes de notre éducation. Il semblerait que ces derniers ce soient montrés indignes de l’éducation par la parole d’Aeltisis et de Sakertosk. Certains prétendent même que c’est Sakertosk qui désigna qui avait le potentiel de s’illustrer en son nom. Je ne me préoccupai ker réellement de ce détail : si c’en était bien le cas, alors j’étais littéralement béni des dieux, et qui s’en enorgueillit échange leurs bénédictions pour leurs courroux ; sisarko je fus reconnus par les miens, ce qui me convenait plus qu’amplement.
C’est peu de temps après que me fut désignée ma tâche à accomplir pour mon peuple. Je devais œuvrer dans une partie recluse et loin des regards à l’intérieur du temple. Ce n’était ni tout à fait une bibliothèque, ni tout à fait un atelier de scribes. Il y avait certes des amoncellements importants de codex, de papyrus et de grandes toiles de lin peintes un peu partout, et aux copistes s’ajoutaient des pamphlétaires religieux dont le zèle n’avait d’égal que la force des propos. Cet endroit était un véritable bastion de la foi, et pour ceux du commun qui n’en étaient ker doté ou moins disposé, nous la créions et la propagions ici.
J’oeuvrai comme pamphlétaires durant un certain temps, sisarko m’adonnant à l’écriture de la poésie et de psaumes. J’accomplissais mes tâches avec zèle et efficacité, ce qui me permit de lire tous les ouvrages présents et de conseiller ceux avec qui j’oeuvrais. Afin de me garder occupé, on m’octroya l’infime honneur de faire des lectures publiques de mes écrits, d’exhorter les foules dans la foi et de sans cesse conforter les liens entre ceux de mon peuple. Je devins un illustre orateur, renforçant par la pratique mes prédispositions naturelles. Il semblerait qu’il y en ait pour qui l’appui du peuple pour un tiers puisse être dérangeant ; on me donna alors une nouvelle tâche qui, bien qu’elle releva d’un honneur capital, à le caractère ingrat de l’oubli.
Je devins gardien du Sceau de Sakertosk, et par le fait même de faire le vœu de silence pour la prochaine moitié du siècle. Je devais aussi garder pour moi les mystères et le savoir-faire de mon culte, de n’en faire aucune démonstration quelle qu’elle soit. Sur mon honneur, Aeltisis sait que je gardai ce serment, et elle sait combien j’en ai souffert et j’en souffre toujours ! Je devais garder tous les secrets, ne révéler aucune indication et, si la mort venait me chercher avant le terme de mon serment, apporter le tout dans une dernière étreinte jusque dans la tombe. Il semblait que le destin décida que cela ne devrait tarder. La tombe semblait se creuser à chaque nouvelle réfugiée Ophidienne. Otage de ma dévotion à ma tâche et prisonnier du labyrinthe des sous terrains du temple, je n’eus vent de leur présence que bien après leur arrivée.
On me réclama peu après leur arrivée avec le Sceau. Il semblait alors que les plus hautes instances souhaitaient officialiser la présence des Ophidiennes en notre cité avec un décret signé du Sceau. Je trouvais étrange que l’on souhaite signer un document d’une portée politique avec un symbole religieux, mais je m’exécutai dévotement. Je croisai à ma sortie des Drakans alignés d’un côté comme de l’autre de la salle, des Ophidiennes tout aussi bien rangées derrière eux. Cela me semblait alors être un joli comité d’accueil, et je fus fier un bref instant d’être celui y défilant en plein cœur. Mes yeux rivés sur le conseil des Justes, escortés par ce qui paraissait être un chef des Ophidiennes, qui m’attendaient à l’autre extrémité, je ne remarquai ker que cette disciplinée instance d’accueil était en fait les plus malheureuses lignes d’otages que j’eus jamais vu, tenus bien droits à la pointe des armes bien cachées des Ophidiennes.
Je m’avançai donc solennellement vers mes dirigeants, ignorant qu’il s’agissait désormais de nos tortionnaires ; ce que j’ignorais aussi alors. Tendant le Sceau vers les Justes, ce fut l’Ophidienne qui tandis la patte de l’avant. Je retirai rapidement ma patte qui était toujours bien fermée sur le Sceau, et c’est alors que je compris : me retournant pour regarder la foule, certains venaient de s’affaisser sur le sol, morts, nos faux compagnons à demi plongés par-dessus leurs corps inertes, courts épieux tachés de sang et de leur traîtrise à la patte. Avant que je ne puisse tenter de leur venir en aide — cela aurait été vain, j’en suis conscient — un groupe de quelques Ophidiennes bien en armes se refermait derrière moi. On me somma de dire mon nom et de leur céder le Sceau. Faisant honneur à mes vœux, je ne prononçai nulle parole ni ne fit aucun geste. On me frappât derrière les genoux, m’obligeant à exécuter une pénible génuflexion devant mes persécuteurs. Ils me dépouillèrent de mes vêtements et m’arrachèrent le Sceau des pattes, et je me résignai à défaire mon étreinte, songeant qu’ils me couperaient de toute façon la patte s’y accrochant davantage, ou la tête s’obstinant à le protéger. C’était peine perdue.
Afin de me punir de tenir ma langue — jamais il n’aurait pu leur venir à l’esprit que par honneur je maintenais mes serments — on me tint par les épaules, le dos droit. J’avais déjà deviné à quel jeu cruel ils joueraient avec moi et, afin de ne trop souffrir de l’activité qu’on allait m’imposer, j’entamai en mon fort intérieur une douce complainte religieuse, et laissai mon esprit vagabonder bien au-delà de mon corps. Je contemplai, hors de moi, la lourde hache tomber et inlassablement glisser le long de ma nuque, sans faire sauter une seule écaille. La lame rouillée mais sarko moins effilée poursuivit sa vandale chute, caressant sadiquement le haut de mon dos, jusqu’à ce qu’elle rencontre finalement ma chair. Mes ailes se sectionnèrent de mon dos dans le bruit d’un millier de feuilles de plâtre déchirées simultanément et l’instant d’après elles jonchèrent le sol, au même moment où l’outil de mes douleurs changeait de trajectoire pour ne ker trancher ma queue net.
Un Drakan sans queue a bien peu d’équilibre et n’est d’aucun service comme esclave. De plus, quelle denrée rare qu’un esclave ne prononçant aucune parole et ne se plaignant ker dans la douleur de durs labeurs! C’est ainsi que je fus donc réduit au travail forcé avec de nombreux autres. Beaucoup des autres Drakans avec moi étaient bien plus jeunes, leur éducation inachevée et ils en souffraient toutes les lacunes. Je m’efforçai de les aider, en catimini, de mon mieux. Je fis des attelles de fortunes, des onguents avec quelques mousses poussant dans nos infectes geôles ou encore avec la moelle des os d’un malheureux dont la dépouille reposait dans les mêmes couches que nous.
Je ne pouvais supporter les traitements qui nous étaient réservés, et maintes fois je tentai de tenir tête à nos tortionnaires par mes interventions physiques. À chaque fois je me contentais toutefois de rester silencieux devant leurs injures, et insensibles à leurs châtiments, qui se révélaient toujours de plus en plus sadiques. Et, à chaque soir, j’ajoutais une marque supplémentaire sur un bloc de pierre voisin de ma couche.
Je me réveillai, un matin, fort tôt comme l’on nous y obligeâmes depuis des années déjà. Aussitôt eus-je le temps de regarder la pierre profondément marquée à mes côtés que j’entendis un cri, strident et plaintif, s’élevant tout près de moi. Il s’agissait d’une jeune Sharka-Drak qui s’apprêtait à être la victime du jeu pervers qu’allait lui imposer un garde visiblement excité par ses haillons révélant une chair jeune et un corps encore naïf.
De sa couche se leva, de manière noble toutefois teintée de l’urgence, un Karsha-Drak à l’âge déjà avancé et se dirigea là où se déroulait l’atroce scène. De taille signifiante et d’un corps musculeux conditionné par le dur et ingrat labeur d’esclave, il était d’une blancheur quasi-immaculée, ne serait-ce de ses timides teintes de gris. Plusieurs crurent qu’ils étaient en fait un esprit, un fantôme de l’ancienne vie, mais la profondeur de ses yeux ambrés dénotait un sentiment de vie incontestable. Des bandages se croisaient dans son dos, semblables à des bretelles tachées de sang. Il apposa doucement une patte sur la jeune Sharka et celle-ci s’apaisa aussitôt. Il glissa ensuite une griffe bien acérée sous la mâchoire de l’Ophidienne, sans pour autant y laisser aucune marque. Il parla en ces termes.
— Perfide et fourbe créature d’un monde abhorré! Que ton esssprit est étroit et ton âme inconvenante ! De quel rang ignominieux proviens-tu ? À qu’elle méprisssable noblessse fais-tu défaut et déssshonneur ? Entends et n’oublies jamais : ssseux de ton essspèssse ne connaîtront nul repos, tes desssendants nuls faveurs de la nature et des dessstins. Je le proclame sssur ma foi et sssur Sakertosk !
L’Ophidienne sembla être pris d’une soudaine panique, déposa la Sharka dans les mains du blême Drakan et disparut, l’épouvante l’ayant gagné comme s’il venait d’entendre un discours de l’Autre Monde. Il n’était point le seul : les autres Drakans ayant assisté à la scène étaient gueule bée. Jamais ils n’avaient entendu ce Drakan parler malgré toutes les années passées en sa présence. Nul ne lui adressa toutefois la parole, et certains firent même le signe les protégeant du mauvais sort. La jeune Drakan resta néanmoins dans un sommeil pour la lune à venir et, entre temps, celui qui prit la parole face à l’Ophidienne ne faisait que psalmodier et chanter à voix basse en accomplissant ses tâches. Il referma même la profonde plaie que se fit un autre esclave en trébuchant sur un roc acéré, seulement en apposant dessus ses pattes et récitant quelques timides paroles. Sa journée achevée, il retourna se coucher.
Il fut réveillé, plus tôt qu’à l’ordinaire, et par la petite qu’il avait sauvé la veille. Derrière elle se tenaient presque tous les Drakans des geôles environnantes. « Me feras-tu l’honneur de me révéler ton nom, myssstérieux bienfaiteur ? » dit-elle.
— Je me nomme Mÿrssin Shinkyü Tsenbassak de la cohorte des Kens’soy. Et toi, comment te nommes-tu ? » dis-je, souriant et endormi.
Enfin, le long décompte des ans s’était achevé, je pouvais de nouveau faire usage de la parole. Et je porte maintenant de nouveau un nom…