[Cohorte : Kens’soy
Signification : Disciples
Âge de naissance : 115]
Ce fut il y a longtemps, ce fut dans les temps où ils étaient meilleurs, dans les temps où nous les comptions comme de tranquilles successions d’Âges d’or ; aujourd’hui, nous comptons les temps en terme de coups de fouets, de pesées de granit amassé, ou encore en doses de honte et de réduction.
Des Âges d’or… peut-être ce thème fut-il trop rapidement évoqué ; si certains conçoivent cette époque comme étant le paroxysme de l’heureux citoyen, de la politique souple et insouciante, de l’économie fleurissante et facile, c’en était rien. Somme toute, n’importe quelle époque passée est plus souhaitable que celle que nous connaissons actuellement, un état de lamentable décrépitude de notre savoir, une ère où notre survie repose sur du pain rassis et de l’eau boueuse que nous obtenons en échange d’une soumission aussi bien muette que totale.
Il est bien connu qu’un discours où l’aigreur et la rage oeuvrent plus que les mots et le raisonnement n’est pas un discours, mais rien de plus qu’une plaie purulente se dotant d’un quelconque vocabulaire. Car semblable à la plaie que l’on presse par sadisme, nous n’obtenons que d’avantage de souffrance et d’ichor ; la guérison, si elle demeure possible, laissera alors la profonde marque des erreurs. Maintenant le fiel expulsé de mon discours fraîchement retrouvé, je vais pouvoir vous raconter l’histoire des Kens’soy, tel qu’il vous est permis de la connaître.
Voilà plusieurs temps — guère assez éloignés cependant pour être qualifiés d’immémoriaux — Kyslosk connaissait des dissensions politiques entre divers partis, ces derniers étant le plus souvent regroupés sous la bannière familiale ou clanique, plutôt qu’idéologique. Certes, les réformes apportées par Sakertosk — que ses louanges soient à jamais chantées par les nôtres ! — eurent un impact des plus bénéfiques pour nous Drakans. Toutefois, bien que le céleste avatar de Sakertosk, par sa grande noblesse et l’apparente divinité de son être, suffit à rallier en son dessein une grande majorité des nôtres, les dissensions poursuivirent.
Prestement, afin de consolider les nouveaux liens naissant de la foi, Sakertosk lui-même suggéra d’élever dans son enseignement une nouvelle cohorte. Cette dernière reçu l’humble désignation de Kens’soy ; les Disciples. Notre éducation ne se fit cependant pas comme le voulait le procédé habituel. Nous ne connûmes ni le Jardin ni l’Académie, mais fûmes éduqués dans une aile spécialement disposée à cet effet dans le Temple. La raison en était bien simple : nul ne peut démontrer d’aptitude naturelle pour la foi, du moins c’est ce qui était cru. En nous plongeant dès les plus jeunes temps dans l’atmosphère des prières et de l’étude des saints écrits, il semblait évident que la foi devait y être exacerbée et cultivée plus que tout autre savoir : heureusement pour nous, de la divine connaissance on peut accéder à toutes les autres.
Versés dans la théologie, les arts divinatoires, la philosophie et la rhétorique, notre rôle était de convaincre, une fois au dehors du Temple et des monastères, nos semblables des bienfaits de la foi et des grandes choses réalisés et encore réalisables en son nom. Notre éducation fut longue mais non moins passionnante. Cependant, notre groupe, déjà restreint à une centaine d’individus au départ, se restreignit davantage au fil des années…
Dès les premières études, certains démontrèrent un très faible intérêt pour l’étude des textes, et leur vocabulaire limité ainsi que leur nature timide en faisaient de bien piètres orateurs et rhéteurs. Ils quittèrent nos classes, sans que nous ne sachions ce qu’il en advint. D’autres, lors de leur profession de foi en Sakertosk et Aeltisis, ne purent faire bonne impression, et le doute habitant leur âme se trahit dans leur regard fuyant ; ils quittèrent aussi nos classes, si bien que nous étions un groupe amaigri mais néanmoins soudé.
De ceux qui réussirent à conserver leur rang parmi les Kens’soy jusqu’à la fin de leur éducation, l’on peut y décompter pamphlétaires, rhéteurs, hérésiologues, théologiens, poètes, prêtres, érudits et plusieurs étant tout cela et davantage. Tous versés dans le zèle contenu, leur œuvre servit à la propagation du culte et à l’exercice scrupuleux de ce dernier.
Cette éducation eut de nombreux revers. Ceux élevés dans le dogme et le culte sous-estimaient en silence la vie au dehors des épais murs du Temple. Beaucoup étaient complètement ignorant de la vie à l'extérieur de leurs enceintes sacrées, du fonctionnement de l'économie ou des tractations politiques malgré leurs lectures et interprétations. Pour cela, nombre de Disciples semblaient venir d’un autre monde, contemplant leur monde idéal par delà celui que leur imposait la vie sociale. Cela n’en firent pas moins d’honorables Drakans, malgré le fait que si le monde idéal étant dans les cieux, leurs pensées, elles, y étaient presque en permanence.
Toutefois, notre statut auprès de Sakertosk, d’Aeltisis et de leurs paroles a toujours été, et sera toujours, des plus précaires. D’ordinaire, celui ayant manqué à ses serments doit faire pénitence, et celui ne louant plus à sa juste valeur ses divinités ou bafouant sa foi n’est plus des nôtres. Ces insultes sont considérées si gravement que certains disent que Sakertosk lui-même veille à leur retirer tout honneur les liant au Kens’soy, tout en leur imposant de lourds amendements…
La marque que nous laissa notre éducation est aisément résumable :
L'Unité par la foi ;
La Méditation par la prière ;
Le Sacrifice par le martyr ;
La Loyauté par le service ;
Le Respect par le dévotion ;
Le Courage par le zèle ;
L’Équilibre par le culte ;
L'Honneur par la Piété.
Voilà ce qui peut être dit de mon Ordre et de mon éducation, car mes serments, encore aujourd'hui, m'empêchent d'en dire davantage...